Une baisse de 25% en 2020. Comme un nombre conséquent d'activités médicales, les greffes d'organes ont été fortement impactées par la pandémie de Covid-19. 4417 greffes ont ainsi été réalisées en 2020 contre 5901 en 2019. Maïfée Batté en sait quelque chose, elle qui a été choisie par l'association Trans-forme - qui sensibilise au don d'organes - comme marraine en 2021 afin de convaincre les Français de donner leurs organes. Si elle-même n'a pas eu de transplantation d'organes, elle a été choisie par l'organisme pour son combat personnel. Car Maïfée, 81 ans, est née avec une anomalie congénitale extrêmement rare : ses principaux viscères et organes sont inversés. Le Figaro l'a rencontrée.
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LE FIGARO. - Quand avez-vous découvert que votre cœur était à l'envers ?
Maïfée BATTE .- Je devais avoir six ans. Quand mes parents ont divorcé, ma mère m'a emmenée en France car je suis née en Afrique, au Congo. En essayant d'écouter mon cœur, ma mère s'est inquiétée parce qu'elle n'entendait aucun son, elle pensait qu'il y avait un souci. Alors, nous sommes allées à l'hôpital à notre arrivée. Les médecins ont découvert que mon cœur était inversé, il se situe à droite et non à gauche comme la grande majorité des gens. J'ai une anomalie rare, qui s'appelle Situs inversus.
Qu'est-ce que cela signifie exactement ?
Pour faire simple, tous mes organes sont inversés, en miroir par rapport à leur position habituelle. Mon cœur est donc situé, comme je le disais, du côté droit du thorax. Mais ce n'est pas tout, la plupart de mes organes sont en réalité inversés. Je l'ai appris quand je me suis fait opérer de l'appendicite quand j'avais sept/huit ans. Les médecins m'ont d'abord fait passer des radios et ils ont finalement opéré à gauche, s'apercevant que mes organes étaient inversés. Alors que mon frère était opéré au même moment mais du côté droit (rires). Mon foie se trouve également à gauche, par exemple. Les médecins qui me suivaient me disaient que ça leur donnait mal à la tête de regarder mes échographies !
Cette malformation a dû fortement impacter votre vie …
Je ne l'ai pas vécu comme quelque chose de terrible. Les médecins m'avaient dit que je ne pourrais certainement pas avoir d'enfants. J'en ai eu trois. À chaque grossesse, par contre, il fallait avancer le travail. Et puis, il est vrai que je n'ai jamais pu déménager à la campagne comme je le voulais, parce qu'il fallait que je sois toujours à proximité d'un hôpital et d'un cardiologue.
Mais sinon j'étais quand même en bonne forme. À l’époque, je faisais mon jardin, j'ai fait pratiquement tous les métiers, le dernier était d'ailleurs institutrice. J'adorais ça, j'avais enfin trouvé le métier qui me convenait. Et puis, six mois plus tard j'ai fait un AVC, j'avais 50 ans, et j'en ai voulu à la terre entière. Mon cardiologue m'a dit après coup que les problèmes commencent en général après 50 ans. Un caillot s'est formé dans mon crâne parce que le cœur peinait.
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C'est à ce moment que vous décidez de vous faire opérer ?
Oui. Après mon AVC, je ne pouvais plus ni parler ni écrire. J'étais paralysée d'un côté mais à force de volonté, j'ai réussi à tout récupérer. Par contre, je ne pouvais plus supporter la fatigue chronique. Je passais mon temps entre mon lit et le fauteuil roulant, c'était l'horreur. Je ne pouvais plus marcher, mon cœur était trop fatigué. Alors, j'ai pris rendez-vous avec un cardiologue qui m'a orienté vers le professeur Élie Alain Serraf. Il m'a opérée à cœur ouvert et m'a changé une valve. Je ne suis pas transplantée, on ne m'a pas changé le cœur mais il me l'a réparé.
Normalement, aujourd'hui, les bébés qui naissent avec une anomalie comme la mienne sont opérés très tôt. Même à cinquante ans, je me suis donc retrouvée hospitalisée en unité pédiatrique. L'intervention a duré entre sept et huit heures et ensuite je suis restée pratiquement dix jours en soins intensifs. L'opération était très risquée, mais je ne pouvais pas rester comme ça.
Qu'est-ce cette intervention chirurgicale a changé pour vous ?
J'ai pu revivre. Après l'intervention, j'étais capable de monter la côte pour aller à la cafeteria de l'hôpital, par exemple. C'était il y a 13 ans. J'ai de nouveau le cœur fatigué mais j'ai 81 ans, il n'y a plus rien à faire. On ne peut plus m'opérer aujourd'hui. Il faut vivre avec son temps !
Aujourd'hui, vous sensibilisez au don d'organes en tant que marraine de l'association Trans-forme . Comment en êtes-vous venue à ce combat ?
L'association et leur partenaire, la société SAP, m'ont demandé d'être marraine cette année et j'ai accepté avec grand plaisir parce que le don d'organes est vital. Je n'ai pas été transplantée mais j'ai subi une opération cardiaque conséquente qui m'a permis de revivre. Il faut absolument sensibiliser au don d'organe, alors je prends mon rôle très au sérieux. Je suis chargée de convaincre les personnes de donner une partie de leur chair. Ce n'est pas évident. Quand vous avez un motocycliste qui a un accident, qui est jeune, on va voir la famille pour lui demander s'ils veulent donner le cœur par exemple. Mais c'est quand même une partie de leur proche, ce n'est pas évident. Et puis la religion rentre en compte aussi. C'est ce à quoi je suis confrontée. Parfois, j'arrive à les convaincre, mais pas toujours.
Je suis également la marraine d'un concours littéraire* pour sensibiliser au don d'organes à travers des poèmes, des dessins, des petits textes sur le thème «un lien qui nous unit». Je suis dans le jury, je vais donc pouvoir lire tous ces écrits qui seront ensuite édités et publiés dans un livret. Les œuvres pourront être exposées dans les mairies mais aussi distribuées pendant la course du cœur, une course solidaire à la transplantation d'organes.
D'ailleurs, l'écriture est particulièrement importante pour vous…
J'ai effectivement écrit un livre (Mon cœur à l'envers, NDLR) sur mon histoire, poussée par mon médecin notamment. Réapprendre à écrire après mon AVC fut extrêmement difficile alors je suis très fière de ce livre. Cela m'a fait beaucoup de bien de l'écrire mais arrivée à la partie sur mon AVC j'ai eu un mal fou à le raconter. Je n'arrivais pas à le retranscrire, c'était encore ancré en moi, même une dizaine d'années après. Encore aujourd'hui, ça me perturbe toujours un peu d'en parler. C'est un tel choc de se retrouver paralysée, de ne plus pouvoir parler, écrire. Alors quand le livre est sorti en décembre, ce fut vraiment une grande joie, une belle aventure.
*Pour participer au concours sur la sensibilisation au don d'organes, envoyez vos œuvres avant le 12 septembre à info@trans-forme.org
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