La méthode change, l'objectif reste le même. Troquant le bâton contre la carotte sous la présidence de Joe Biden, les États-Unis ont mis en place divers programmes de formation et d'incitation à destination des pays alliés souhaitant construire des équipements 5G dépourvus de toute technologie estampillée Huawei. Une rupture face à la politique de Donald Trump, faite de sanctions directes infligées au constructeur chinois, qui sert toutefois un but similaire : contrer la suprématie de Huawei autour de la 5G. En dépit des mesures de rétorsion américaines, le géant chinois demeure le leader mondial dans les équipements de réseaux télécoms, avec 31% de parts de marché. Il constitue en outre, avec son confrère ZTE et les européens Ericsson et Nokia, l'un des quatre poids lourds internationaux spécialisés dans les infrastructures et équipements 5G.
De champions, l'Amérique, elle, n'en a aucun. Fort de ce constat, le gouvernement américain s'efforce actuellement de sortir un nouvel atout de sa manche : la technologie ouverte, à travers l'Open RAN, un nouveau type d'infrastructures qui permet le décloisonnement des équipements et interfaces, ainsi que la virtualisation des fonctions réseau.
Décloisonner la 5G
À l'heure actuelle, l'infrastructure proposée par Huawei, ZTE, Nokia et Ericsson fonctionne en vase clos : on choisit l'un des quatre constructeurs, et l'on doit ensuite recourir exclusivement à son matériel et son logiciel pour le fonctionnement de son réseau 5G. Avec l'Open RAN, ce n'est plus le cas : on peut mélanger les équipements et logiciels de différents fournisseurs.
Un grand décloisonnement susceptible de briser les silos entre les différents environnements 5G, et donc de contester la suprématie des ténors actuels du marché, stimuler la compétition et faire émerger de nouveaux acteurs. Du pain béni pour l'écosystème américain, lequel, démuni dans le domaine des infrastructures 5G, possède en revanche de jeunes acteurs dynamiques prêts à se positionner sur le marché de l'Open RAN, dont Airspan Networks, JMA, Parallel Wireless ou encore Mavenir, qui a récemment conclu un partenariat avec Orange.
Le logiciel dévore tout... y compris la 5G
C'est pourquoi, le 14 janvier 2020, un groupe bipartisan de six sénateurs américains a déposé un projet de loi visant à développer une architecture 5G ouverte pour doper la concurrence occidentale face à Huawei et ZTE. Quelques mois plus tard, un rapport de l'Information Technology and Innovation Foundation (ITIF), un laboratoire d'idées consacrée aux politiques scientifiques et technologiques, appelait le gouvernement américain à adopter une politique nationale autour de la 5G, qui miserait sur la virtualisation des réseaux pour jouer sur les forces de l'industrie américaine et contrer Huawei.
Ses prières ont été entendues. En juin dernier, le Sénat a voté un investissement de 1,5 milliard de dollars dans la 5G, qui vise notamment à développer l'Open RAN. Quelques mois plus tôt, la Darpa tissait de son côté un accord avec la Linux Foundation, pilier du logiciel libre, pour le développement d'une 5G ouverte.
Mais l'Open RAN promet également de faire entrer la 5G dans l'ère du logiciel : en effet, la virtualisation permet de transférer certaines fonctions actuellement assurées par du matériel propriétaire vers le cloud. Ce basculement vers le logiciel apporte des avantages similaires à l'émergence du cloud computing dans l'informatique : vitesse de déploiement plus rapide, possibilité d'augmenter ou diminuer rapidement les capacités en fonction de besoins, économies d'énergie permises par cette adaptation chirurgicale de la consommation aux besoins...
Les États-Unis veulent faire jouer leur avantage sur le logiciel
Mais du point de vue américain, la virtualisation comporte encore un avantage supplémentaire, le pays possédant certaines des meilleures entreprises de logiciel au monde, domaine qui constitue le point faible des géants chinois, selon Thomas J. Duesterberg,senior fellowau Hudson Institute, un laboratoire d'idées américain.
Pas étonnant, dès lors, que ces entreprises se trouvent aux avant-postes lorsqu'il s'agit de promouvoir la 5G ouverte. Facebook soutient ainsi l'Open RAN à travers son Telecom Infra Project, et la Open RAN Policy Coalition, qui milite pour que les autorités américaines promeuvent une 5G ouverte (et sans Huawei) rassemble, entre autres, Dell, Google, IBM, Intel, Oracle, Cisco, Amazon Web Services (AWS) et VMware.
Parmi les initiatives les plus avancées, citons celle de Dish Network, société américaine de diffusion de télévision par satellite, qui s'efforce de construire un réseau de 5G ouverte outre-Atlantique, en partenariat avec certains géants de la tech américains. L'objectif : mettre en place une première offre à Las Vegas l'an prochain, qui doit être étendue à tout le pays en 2023. Un projet qui servira de test grandeur nature pour les ambitions américaines, selon Thomas Duesterberg.
L'entreprise a conclu un accord avec AWS, qui s'occupera de la partie logiciel. « La valeur ajoutée va clairement reposer sur le logiciel, c'est pourquoi des entreprises comme Amazon entrent dans la partie. Microsoft a de son côté tissé un accord similaire avec AT&T...»
Limiter les risques géopolitiques
L'Amérique ne peut toutefois faire cavalier seul : pour que cette stratégie fonctionne, les pays alliés doivent également miser sur la 5G ouverte. Le Japon s'impose d'ores et déjà comme un partenaire privilégié. Le géant du commerce en ligne Rakuten y déploie un ambitieux projet censé couvrir tout le territoire, qui compte déjà trois millions d'utilisateurs. 6 000 stations ont pour l'heure été déployées, et l'entreprise entend ainsi apporter la 5G ouverte à 70% de sa population d'ici la fin de l'année. Les américains Altiostar, Cisco, Red Hat et Qualcomm sont tous partenaires de ce projet.
L'Europe, qui possède deux équipementiers majeurs (Nokia et Ericsson) subissant de plein fouet la concurrence des géants chinois, et s'est de surcroît retrouvée prise entre deux feux dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, se laisse également tenter par la 5G ouverte. Dans un monde où les géants technologiques peuvent être victimes des querelles politiques, miser sur l'ouverture et la concurrence apparaît comme un meilleur moyen d'assurer la résilience de ses infrastructures de télécommunication.
Au Royaume-Uni, une équipe chargée par le gouvernement de s'affranchir des équipements Huawei dans les télécoms (but qui doit être atteint à l'horizon 2027 sur ordre des autorités), recommande que des équipementiers nouveaux ou utilisant un logiciel ouvert constituent 25% de l'infrastructure des télécommunications d'ici 2025. Le gouvernement allemand va pour sa part investir deux milliards de dollars dans cette technologie.
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